Rien de tel pour vous donner l’illusion d’être en vacances que d’aller passer un week-end chez une de vos amies à Saint-Etienne.

Ce week-end m’a agréablement dépaysée. En totale opposition avec Lyon la bourgeoise, Saint-Etienne est une ville relativement tranquille dont le patrimoine est notamment constitué par feues les mines de charbon, des chocolateries, un grand groupe agro-alimentaire ainsi que par la Biennale internationale du design.

Sortir de la capitale rhodanienne m’a notamment permis de grimper jusqu’au Col de l’Oeillon, d’où l’on peut voir, par temps dégagé, le Mont Blanc; d’en redescendre pour déguster une crêpe – ressemblant plus à un blini qu’aux fines crèpes bretonnes – copieusement garnie de confiture aux myrtilles et recouverte d’une épaisse couche de sucre, le tout fait maison par une petite dame septuagénaire qui m’a fait penser à ma Mamie, tant dans le discours que dans l’habillement; de rencontrer des gens que je n’aurais jamais rencontrés autrement; de boire un canon à la cannelle à la santé de personne; de gâgâtiser devant deux très beaux chats; de dormir aussi profondément qu’un macchabée; de prendre quelques photos que l’on sait par avance ratées mais que l’on prend quand même pour s’amuser.

J’ai dû prendre 4 kilos en deux jours mais ce week-end m’a fait un bien fou!

Ce matin, scène totalement surréaliste. Levée vers 11 heures, entendant vaguement les bruits de mon hôte dans la cuisine, je me fais violence pour ouvrir mes yeux encroûtés puis ouvrir le volet. J’aère la chambre, me pose quelques instants à la fenêtre pour respirer profondément l’air humide de l’été. Soudain, je perçois l’écho de la messe qui a lieu au même instant dans la petite église d’à côté.

Je ferme les yeux quelques secondes et profite de la beauté de ces chants spirituels sans en partager l’extase mystique. J’ai l’impression de glaner un peu de magie par là même… Les seuls chants, fendant le silence dominical, m’ont mise de bonne humeur pour la journée.

Pourtant, je n’ai pu m’empêcher de repenser à ma réaction coite à l’écoute d’un des titres du dernier album d’Arcade Fire, Neon Bible, dont l’un des instruments principaux est justement un orgue d’église. Le résultat est, oui, comment dire, … »surprenant », un peu surfait. Mais là, écouter ces voix en vrai, ça n’avait rien à voir, c’était proprement divin, et très apaisant.

Dans un autre registre, nous sommes allées voir la rétrospective consacrée à Orlan par le Musée d’Art Moderne de Saint-Etienne, sa ville natale, expo que j’avais notée il y a un bon moment dans mon agenda.

Présentée comme « la plus grande rétrospective jamais réalisée sur l’oeuvre d’Orlan à l’occasion du soixantième anniversaire de l’artiste », l’expo propose une centaine d’oeuvres, principalement photographiques, issues de ses projets les plus marquants: Vintages, Le Baroque, Opérations chirurgicales-performances, Self-hybridations, entre autres.

J’avais eu l’occasion d’étudier son travail lors de la rédaction de mon mémoire en 2005, intitulé « Corps déformés, corps normalisés? Marquer le féminin à l’extrême, entre normes et déviances« , dont un des chapitres se penchait sur le travail des artistes contemporaines qui modèlent le corps comme matière première. Aussi, me retrouver face aux tirages gigantesques des Self-hybridations était quelque chose d’assez unique…

J’ai profité de l’expo pour découvrir avec grand plaisir les nouvelles Self-hybridations d’Orlan, datant de 2005 à aujourd’hui, dont est d’ailleurs issue l’affiche de la rétrospective (cf. la photo sur fond rouge ci-dessus). Cette colossale exposition « se sniffe avec les yeux« , pour reprendre un des slogans cinématographiques de l’artiste.

Les éléments les plus dérangeants de l’exposition sont sans conteste la vidéo d’une de ses opérations (dont sont issues les photos ci-dessus), à la limite du soutenable, ainsi que les reliquaires de sa propre chair, extraite de son corps lors de ces opérations-performances.

Orlan a beau nous mettre en garde contre les images, fondamentalement trompeuses (et ça ne s’arrange pas avec l’ère du numérique, comme le prouvent d’ailleurs ses Self-hybridations), les outils des chirurgiens qui touillent sa chair et s’agitent sous sa peau sont difficiles à regarder, même si on sait pertinemment que l’artiste est anesthésiée, en accord avec sa démarche profondément anti-masochiste.

Orlan nous oblige à regarder là où ça fait mal, c’est à dire : nous-mêmes.

L’interrogation plane sur le rôle de la science et sur les stéréotypes féminins : revêtant le costume de « Sainte Orlan », l’artiste pastiche l’iconographie judéo-chrétienne en posant dans un atelier de mécano, affublée du costume d’une improbable sainte, et interroge une féminité qui ne se caractérise traditionnellement que dans deux possibles : le rôle de sainte ou celui de prostituée.

C’est aussi cette interrogation qui avait poussé Orlan à organiser la performance Le baiser de l’artiste, au cours de laquelle les passants pouvaient, moyennant 5 francs (environ 90 centimes d’euro), embrasser l’artiste ou bien déposer un cierge à la gloire de Sainte Orlan, au choix ; c’est encore cette interrogation qui prend la forme d’une violente dénonciation lorsque l’artiste expose les draps de son trousseau, souillés :

Le choix des draps du trousseau est loin d’être anodin. Comme le rappelle (…) Michelle Perrot, la préparation du trousseau est le moment où se noue la complicité entre mère et fille, le temps d’une leçon de vie. Ici, cette leçon est dénoncée par Orlan comme préparatifs d’une vente, comme prostitution hypocrite où la mère maquerelle prépare, avec sa fille aveuglée et consentante, le marché qui vendra son corps.

Olivier Normand, in Orlan: morceaux choisis, Saint-Etienne, ENS Editions, mai 2007, p.19

Bref, une expo riche en émotions fortes, en couleurs, en métissages, en masques et en humour (il ne faudrait pas l’oublier !), une étape importante pour la reconnaissance des recherches féministes, intellectuelles et artistiques, en France, toujours en retard dans le domaine des gender studies par rapport aux pays anglo-saxons.

« Little Dolls » par Alain Delorme

A noter que j’ai trouvé, dans la jolie boutique du Musée, le coffret Little Dolls du photographe Alain Delorme, qui contient 24 cartes de sa série de photographies, luxueusement imprimées, pour la modique somme de 10€. Je salue ce genre d’initiatives qui rendent l’art contemporain accessible à toutes les bourses. Inutile de dire que les photos sont très belles et illustrent elles aussi une réflexion sur la condition féminine, cette fois du point de vue de l’enfance.

Marie

5 commentaires

  1. Ravie que tu aies aimé la maison du bonheur ! Tu es la bienvenue dans la France profonde ! :)

    Ne connaissant les travaux d’Orlan seulement de nom, je me suis régalée de l’exposition. J’ai trouvé que même si certaines oeuvres sont assez difficiles, le concept est cependant des plus intéressants. Par là je veux dire, que le travail de réflexion sur l’impact des images est intéressant, le fait que ce ne soit justement pas que des images mais aussi un texte et une réflexion d’Orlan ou d’un des auteurs qu’elle lisait (Michel Serres, ndK), ca m’a donné une impression de révolte à la propagande. Je me souviens comme les images étaient détournées au profit des convictions des gouvernements pendant la guerre, ca m’a rapelé un peu ça, mais dans une toute autre dimension.

    Et il faut dire que j’ai adoré tous ces concepts farfelus comme mesururer en « orlan-corps »; c’est farfelu et beau en même temps. Merci de m’avoir proposer d’y aller! :) Je l’ai recommendée a ma mère d’ailleurs ! :)

    Ha et pour la blague, mon chef m’en a donné une :
    « Quel est le classique littéraire préféré des stephanois ? Réponse : ANTIGONE !! »

  2. Coucou, ça fait plaisir de te voir par ici! Je me sentais un peu seule dans ce billet… :-P

    Je suis très contente que l’expo t’ait plu et le travail d’Orlan touchée. Ce n’est jamais facile de se prendre une telle rétrospective dans la tronche, d’autant moins quand on connaît peu voire pas du tout l’artiste qui expose.

    Au fait, la blague est excellente!!… Je la ressortirai :-P

  3. Contente que tu aies aimé l’expo… Ca change vraiment beaucoup de choses de voir les oeuvres en « vrai » plutôt que par des repro dans des bouquins, et/ou, pire, sur le net… surtout quand les oeuvres sont grandes voir monumentales!
    Si tu vas à Paris va voir la retrospective de Annette Messager à Beaubourg… je pense que ça pourrait t’intéresser aussi…
    Les lyonnais sont carrément devenus tes ennemis? ben dis donc!

  4. Les lyonnais sont carrément devenus tes ennemis? ben dis donc!

    Non, c’était juste une emphase qui se voulait humoristique. Faut pas tout prendre au pied de la lettre!

  5. L’expo d’Orlan avait l’air intéressante, j’aurais aimé y aller. Tant pis, une prochaine fois.

    Et puis Saint Etienne doit te reposer par rapport à Lyon, toujours en ébullition.
    Et puis quelle hôte aussi! ;) La « chambre rose » à des pouvoirs magiques bienfaisants, j’en suis sûre maintenant!

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