Salut tout le monde ! Ça me fait plaisir de me remettre à publier par ici.
J’avoue que je ne pensais pas que ce retour prendrait la forme d’un billet métier. Je m’attendais plutôt à un bilan de la pause que j’ai faite vis-à-vis du net et des réseaux sociaux. La publication de mon billet Wake up from the illusion l’été dernier a marqué le début d’une aventure personnelle dont j’ai hâte de vous parler.
Pour l’heure, je reprends la plume pour poursuivre un débat qui a commencé sur Twitter il y a quinze jours. Ce débat concerne certains arguments utilisés pour convaincre les designers des bienfaits de l’accessibilité web. J’ai beaucoup de choses à dire sur le sujet, aussi j'ai créé un sommaire pour vous permettre de naviguer plus rapidement à l'intérieur de ce billet.
Sommaire (pour aller plus vite si besoin)
- Petite introduction pour celles et ceux qui ne savent pas très bien ce qu’est l’accessibilité web
- Venons-en au fait
- Alors on fait quoi ?
- Conclusion
Petite introduction pour celles et ceux qui ne savent pas très bien ce qu’est l’accessibilité web
Mais avant de reprendre le fil de ce débat, je tiens à faire un petit rappel à propos de l’accessibilité web. Si vous connaissez déjà tout ça par cœur, vous pouvez sauter directement au prochain chapitre de ce billet, intitulé Venons-en au fait.
Une liberté fondamentale
La Web Accessibility Initiative (WAI) du W3C définit l’accessibilité web comme une composante importante du web : L'accessibilité du Web signifie que les personnes en situation de handicap peuvent utiliser le Web. Plus précisément, qu'elles peuvent percevoir, comprendre, naviguer et interagir avec le Web, et qu'elles peuvent contribuer sur le Web. L'accessibilité du Web bénéficie aussi à d'autres, notamment les personnes âgées dont les capacités changent avec l'âge. L'accessibilité du Web comprend tous les handicaps qui affectent l'accès au Web, ce qui inclut les handicaps visuels, auditifs, physiques, de parole, cognitifs et neurologiques
.
L’accessibilité a été reconnue comme un droit universel par l'article 9 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées adoptée en 2006 par l'Organisation des Nations unies.
Concrètement, l’accessibilité web permet aux personnes en situation de handicap d’accéder à Internet, et ce faisant de participer de plein droit à la vie en société et de jouir de leurs libertés fondamentales.
Bien que les bienfaits de l’accessibilité soient nombreux et rayonnent souvent au-delà du handicap, ce sont bien les personnes handicapées qui sont le plus discriminées, socialement et professionnellement, lorsqu’un dispositif numérique n’est pas accessible. De la même façon qu’un bâtiment public sans rampe d’accès ou sans ascenseur empêche les personnes à mobilité réduite d’y accéder, un dispositif numérique qui n’est pas accessible crée une inégalité de traitement entre les citoyen·ne·s pouvant y accéder et celles et ceux qui ne le peuvent pas.
D’ailleurs, le handicap n’est pas tant une question de corps ou d’esprit présentant une ou plusieurs déficiences, mais d’environnement : une marche quand on est en fauteuil, un signal visuel quand on est aveugle, ou un signal sonore quand on est sourd.
A contrario, un environnement adapté permet de nuancer le handicap. C’est pourquoi la mise en œuvre de l’accessibilité est si importante : elle est une condition sine qua non pour que les personnes handicapées puissent exercer leur citoyenneté, travailler, ou se divertir comme tout le monde.
Une obligation légale
Mais l’accessibilité est surtout une obligation légale : en France, depuis la Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et, en particulier, son article 47, les sites web publics ont l’obligation d’être accessibles.
L’article 106 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République Numérique prévoit d’étendre cette obligation aux sites délégataires d’une mission de service public, ainsi qu'aux sites d’entreprises privées dont le chiffre d’affaires dépassera un certain montant. Progressivement, l’accessibilité va donc devenir obligatoire pour de plus en plus de sites web, ce qui est une très bonne chose.
Mais comment évalue-t-on l’accessibilité d’un site web ? À l’aide du Référentiel Général d'Accessibilité des Administrations (RGAA 3). Il s’agit d’un référentiel opérationnel qui permet de vérifier l’application des Web Content Accessibility Guidelines (WCAG, soit Règles pour l'accessibilité des contenus Web en français), publiées par le W3C. À noter : les WCAG ont été transposées en norme ISO/CEI depuis 2012.
Le cadre juridique est donc là. Le hic, c’est que la mise en œuvre de l’accessibilité web en France a pris un énorme retard, en raison d’un manque d’investissement public et politique patent, mais aussi de l’absence de sanctions sérieuses. L’article 106 évoqué plus haut prévoit certes une sanction financière annuelle d’un montant de 5 000 € en cas de manquement à l’obligation légale d’accessibilité, mais cela ne sera pas vraiment contraignant pour les entreprises au chiffre d’affaire élevé.
Par contre, le Code pénal, s’il est invoqué en cas de plainte d’un utilisateur, sera beaucoup plus sévère : il prévoit entre 3 et 5 ans d’emprisonnement, et entre 45 000 et 75 000 € d’amende au maximum en cas de discrimination avérée.
Il est important de rappeler tout ce cadre juridique, car les bons sentiments suffisent rarement à convaincre qui que ce soit de mettre en œuvre l’accessibilité.
Une autre piste pour accélérer la mise en accessibilité des sites web en France consisterait à amender le dispositif d’action collective, actuellement réservé aux problèmes d’entente illégale du marché : l’étendre aux situations concernant la santé ou la discrimination suffirait.
Pour en savoir plus sur les obligations légales liées à l’accessibilité numérique.
Les résistances à l’accessibilité
Le sujet de l’accessibilité web est donc toujours d’actualité, juridiquement parlant. Pourtant, quand on travaille dans le web comme moi, on se rend compte que l’accessibilité se heurte à de nombreuses résistances.
Côté métier, l’accessibilité a du mal à décoller en France faute de sensibilisation appropriée dans les parcours de formation des web designers, UX et UI designers, intégrateurs, développeurs et managers (directions, chefs de projet, et al.). Or, je crois que si on avait pris l’habitude de former systématiquement les futur·e·s professionnel·le·s du web à l’accessibilité, elle serait rentrée dans les usages depuis longtemps. Il est donc plus que temps de revoir les programmes pédagogiques à cet effet.
L’autre difficulté concerne les professionnels du web en poste, qui se divisent grosso modo en deux groupes : d’une part, les ardents défenseurs de l’accessibilité, certain·e·s d’entre eux étant experts AccessiWeb en évaluation ; d’autre part celles et ceux pour qui l’accessibilité est une discipline vague, voire inconnue, à laquelle ils n’ont jamais eu l’opportunité de se former.
La pédagogie autour de l’accessibilité depuis 20 ans n’a pas toujours réussi à convaincre ces derniers, en partie parce que les exemples de sites accessibles qui existaient alors ne vendaient pas du rêve. On a longtemps cru qu’un site accessible était forcément moche : les designers ont ainsi boudé l’accessibilité, ce qui a eu des conséquences dramatiques dont l’utilisabilité du web paye encore le prix aujourd'hui.
Aujourd’hui toutefois, l’essor des méthodes UX, qui entendent mettre l’humain au cœur de la conception numérique, peut offrir à l’accessibilité l’opportunité de devenir un sujet majeur de l’innovation numérique et de la production web.
Venons-en au fait
Le débat sur Twitter que j'évoquais en introduction concernait l’article We're Just Temporarily Abled. J'ai lu cet article avec intérêt, en particulier parce qu’une UX designer y parle d'accessibilité (le texte est en anglais).
J’ai découvert l’existence de ce papier grâce à HTeuMeuLeu : il demandait à ses abonnés Twitter de l’aider à trouver une traduction pour l’expression « temporarily abled », qui est utilisée dans cet article. Comme je voyais passer pas mal de réponses à ce tweet, j’ai eu envie de savoir dans quel contexte était utilisée cette expression.
J’ai donc lu l’article en question et… ça a été un drame. En effet, cet article véhicule des idées très problématiques sur l’accessibilité. Je vais vous expliquer pourquoi.
On ne conçoit pas pour soi, ni pour son client
Le premier conseil que donne l’article est : Design for the future you
(« Faites du design pour votre futur vous »). L’idée est de convaincre les designers réfractaires à l’accessibilité de s'imaginer vieux et impotents, en train d’essayer leurs propres sites ou produits. Ainsi, ces designers pourraient comprendre à quel point leurs créations sont difficiles à utiliser, faute d’être accessibles. Alors que s’ils tenaient compte de l’accessibilité dès aujourd’hui, cela leur servirait également « dans 20 ou 30 ans ». (Comme si un site web restait deux voire trois décennies en ligne tel quel, m’enfin.)
En matière de sensibilisation à l’accessibilité web, l’argument qui consiste à dire à des designers : « Imaginez-vous vieux et handicapés, alors vous comprendrez la gêne que cause votre site aux seniors et aux personnes en situation de handicap qui essaient de l’utiliser » est ancien. Il n’en est pas moins douteux.
En effet, quand on est designer, on ne conçoit jamais des interfaces pour soi, ni pour ses clients : on conçoit des interfaces pour les utilisateurs finaux de ces interfaces. La conception orientée utilisateurs a justement pour objectif d’adapter le produit à ces utilisateurs-là, plutôt que d’imposer un mode de fonctionnement choisi par les concepteurs eux-mêmes, qui sont rarement les utilisateurs du produit qu’ils contribuent à créer.
La conception orientée utilisateurs tient donc compte des besoins, des attentes et des caractéristiques personnelles des utilisateurs finaux du site ou de l’application concernés. Ces utilisateurs sont généralement identifiés à l’aide d’études qualitatives (études de marché, focus groups, etc.). De là peuvent naître :
- des personas, c’est à dire des utilisateurs fictifs utilisés lors de la phase de conception pour faire des choix ;
- des tests utilisateurs, pour vérifier que les résultats du processus de design répondent bien aux attentes des utilisateurs à qui va servir le produit ou le site web.
Par ailleurs, la conception orientée utilisateurs est définie par la norme ISO 9241-210 : ce n’est donc absolument pas un processus subjectif laissé au bon vouloir ou à l’imagination de chaque individu, comme le laisse entendre l’article.
En somme, créer du design pour soi est l’exact opposé de ce qu’il faut faire. Donner ce « conseil » à des designers relève selon moi de la désinformation pure et simple – de la désinformation involontaire, je n’en doute pas, mais il est important de le souligner.
L’accessibilité mérite mieux que des arguments grotesques
Le second argument avancé dans l'article We're Just Temporarily Abled concerne le fait que les utilisateurs finaux d’un projet numérique peuvent être « distraits » en naviguant sur un site ou en utilisant une appli, et que cela justifierait le recours à l’accessibilité.
Pour illustrer ce point, dont je ne vois déjà pas très bien le rapport avec l’accessibilité, trois exemples sont utilisés.
- Le premier consiste à dire que si un utilisateur vient de se disputer avec quelqu’un, il va être contrarié, et va « fracasser sa souris sur son bureau » tout en essayant d’utiliser le site. Personnellement, j’ai beau chercher, je ne vois toujours pas le rapport entre cette situation et l’accessibilité.
- Le deuxième exemple évoque un utilisateur en train de pleurer : les larmes dans ses yeux l’empêcheraient alors de bien voir l’écran et le clavier, et il serait ainsi « temporairement malvoyant ». Bon, là ça commence à déraper sec, niveau argumentation. Ça me fait penser à cet exemple qu’on donne souvent d’un utilisateur qui ne peut pas lire son écran parce qu’il marche en plein soleil : certes, il a momentanément du mal à lire, mais l’accessibilité ne peut rien pour lui.
- Le dernier exemple quant à lui tente de convaincre des bienfaits de l’accessibilité en évoquant le cas d'une personne ivre qui tenterait d’utiliser Internet. Heureusement, l’article ne rentre pas dans les détails, et se contente d’une pirouette humoristique pour se sortir au plus vite de cette démonstration que je trouve affligeante.
En effet, mettre sur le même niveau quelqu’un de saoul et une personne handicapée me choque, intellectuellement et moralement. Comment peut-on sérieusement comparer le fait d’avoir un coup dans le nez avec un handicap quelconque ? Aucune personne valide ne peut (ni ne veut !) se représenter une seconde ce que c’est que d’être handicapé·e toute sa vie et de vivre dans une société inadaptée. Doit-on vraiment rappeler que le handicap reste, en 2017, une cause d’exclusion scolaire, administrative, professionnelle et sociale ? Quel rapport avec une cuite d’un soir ? Absolument aucun !
Imaginer une personne ivre utiliser Internet un soir peut faire sourire. En revanche, comparer ça le plus sérieusement du monde avec les difficultés que rencontrent les personnes handicapées tous les jours lorsqu’elles utilisent Internet est, au mieux, grossier.
Quand on est ivre au point de ne pas pouvoir utiliser Internet, il suffit d’attendre que cela passe. Quand on pleure et que cela nous empêche de voir ce que l’on fait sur le web, il suffit de prendre un mouchoir et d’éponger ses larmes. Bref, ces deux états sont temporaires, leurs solutions faciles et à la portée de chacun·e.
En revanche, quand on est handicapé·e, c’est un état durable ou définitif et les solutions ne dépendent pas de soi : on est dépendant·e des choix de conception que font les autres. C’est pour ça que l’obligation légale d’accessibilité est cruciale, pour garantir le libre accès à toutes et tous, et combattre les discriminations induites par les défauts d’accessibilité. S’en remettre au bon vouloir des gens ne suffit pas.
À un moment, il faut prendre du recul et se demander honnêtement si nos arguments sont pertinents et éthiques. En tant que personnes valides, nous ne devrions pas comparer nos petits pépins temporaires aux obstacles énormes que doivent surmonter les personnes handicapées chaque jour de leur vie. Et ce même si nous ne pensons pas à mal, et que ce type de comparaisons poursuit l’objectif noble de sensibiliser des gens à l’accessibilité.
Choisir de défendre l’accessibilité en utilisant des arguments pensés par et pour des personnes valides, donc privilégiées, c’est placer une fois encore les personnes valides au cœur du système, comme norme sociale, et invisibiliser les personnes en situation de handicap. C’est une démarche validiste.
Et c’est encore pire lorsque les personnes valides en question admettent, de leur propre aveu, ne rien connaître à l’accessibilité… Dans ce cas, ne serait-il pas plus judicieux de laisser la parole aux personnes concernées et formées, plutôt que de véhiculer des contre-vérités sur un sujet que l’on ne maîtrise pas ?
Simuler un handicap : une pratique excluante et contre-productive
La dernière partie de l’article We're Just Temporarily Abled liste quelques outils servant à estimer l’accessibilité d’un site web, et suggère de montrer ce que c’est que de naviguer sur le web avec un lecteur d’écran aux personnes à convaincre des bienfaits de l’accessibilité.
Mais je doute que cela suffise à convaincre qui que ce soit. Déjà parce que les outils de test, c’est pratique, encore faut-il savoir s’en servir et interpréter les résultats, ce qui sous-entend à la fois une bonne maîtrise de ces outils, ainsi qu’une solide connaissance des critères d’accessibilité que l’on cherche à tester. En faisant deux ou trois tests qui s’avèrent positifs, une personne non formée pourrait se dire que ça suffit, et que le site testé est accessible, alors que ce n’est pas le cas.
Par ailleurs, assister à une démo de technologie d’assistance réalisée par une personne handicapée qui la maîtrise bien, d’accord ; par contre, assister à une démo faite en deux minutes par une personne valide qui ne s’en sert pas au quotidien et qui va ainsi introduire un biais cognitif, bof.
Malgré tout, les personnes valides ont cherché à simuler le handicap depuis longtemps. Les méthodes pour le faire sont nombreuses : certains se bandent les yeux pour simuler un handicap visuel, d’autres attachent plusieurs de leurs doigts ensemble pour simuler une déficience motrice, d’autres encore portent des boules Quies pour simuler un handicap auditif… Depuis peu, le site Empathy Prompts suggère même des méthodes très discutables pour « construire l’empathie » en simulant divers handicaps.
Mais ces méthodes posent plusieurs soucis.
D’une part, les simulations de handicap excluent quasi systématiquement certains handicaps, comme les handicaps mentaux, cognitifs ou psychiques.
On réduit souvent l’accessibilité comme bénéficiant aux seules personnes aveugles, voire aux personnes sourdes ou aux personnes en situation de handicap moteur dans le meilleur des cas. Or, cette vision réduite du handicap invisibilise les personnes en situation de handicap mental, cognitif ou psychique (autisme, troubles dys, etc.).
On parle rarement de ces handicaps invisibles : ils n’en sont pas moins présents, et les personnes concernées se battent pour qu’ils soient reconnus, comme l’a rappelé hiwelo.
La variété de ces handicaps est telle qu’il est difficile de faire de la pédagogie à propos des difficultés rencontrées par les personnes concernées, et de concevoir des technologies d’assistance adaptées.
D’autre part, les méthodes de simulation du handicap sont en général contre-productives.
Déjà, se bander les yeux cinq minutes ne permet pas de comprendre les nombreux mécanismes développés par les personnes concernées pour vivre sans problème ce handicap.
En outre, Nicolas Steenhout explique que lorsque des personnes valides simulent un handicap et tentent ensuite d’utiliser Internet, c’est pour elles une expérience horrible, extrêmement frustrante, dont elles ne retirent absolument rien de positif.
Elles sortent de là en ressentant de la pitié pour les personnes handicapées, ou, à l’inverse, une admiration démesurée et injustifiée (en mode « Oh les braves handicapés, c’est incroyable tout ce qu’ils sont capables d’endurer ! »). Certaines personnes valides ayant vécu une telle simulation ont même dit qu’elles ne pourraient jamais vivre avec un handicap, et qu’elles préfèreraient plutôt mourir. C’est donc une expérience validiste ultra négative.
Dans son excellent article The Wrong Message — Still, qui date de 2004, Valerie Brew-Parrish faisait part de son incompréhension face à ce besoin ressenti par les personnes valides de simuler le handicap pour pouvoir comprendre ce que vivent les personnes en situation de handicap.
Ironiquement, elle demandait si, pour célébrer le mois de l’histoire des Noirs (Black History Month), les personnes blanches devraient également se peindre la figure en noir, ou bien si les personnes hétérosexuelles devraient faire elles-mêmes l’expérience de l’homosexualité pour prouver qu’elles ne sont pas homophobes.
De mon côté, je ne peux pas m’empêcher de penser à l’habitude idiote qu’ont pris certains hommes de porter une jupe le 8 mars, comme si cela allait changer quoi que ce soit. Ce type de « simulation de l'autre » ne sert à rien, à part donner de la visibilité aux gens qui réalisent cette simulation, plutôt que de la donner aux personnes concernées par ces problèmes au jour le jour.
Bref, ces divers contre-exemples permettent bien de comprendre à quel point il est vain de simuler des handicaps.
Tout cela explique pourquoi je rechigne toujours à utiliser l’argument qui consiste à dire aux personnes valides « Imaginez-vous handicapés ! » pour les sensibiliser à l'accessibilité. Le handicap ne devrait pas être agité comme quelque chose d’angoissant et de terrible ; c’est pourtant comme ça que la société validiste dans laquelle nous vivons procède.
D’ailleurs, le fait de parler systématiquement de l’accessibilité en termes négatifs ou absurdes, au lieu d’insister sur les bienfaits de l'accessibilité pour les personnes en situation de handicap, ne donne pas envie et freine, selon moi, la mise en œuvre de l’accessibilité à grande échelle.
Alors on fait quoi ?
C’est bien gentil de critiquer, mais c’est mieux de proposer quelque chose à la place. Voici donc quelques pistes de réflexion pour améliorer la façon dont nous sensibilisons nos confrères et nos consœurs designers, mais aussi, par ricochet, nos managers et nos clients à l’accessibilité web.
Donner la parole aux personnes handicapées
Pour commencer, discuter avec les personnes handicapées elles-mêmes, qui sont les premières bénéficiaires de l’accessibilité, est fondamental.
Écoutons-les, et, pour cela, laissons-leur la possibilité de prendre la parole, non seulement dans les évènements publics que nous organisons, mais également dans les diverses publications professionnelles qui existent.
(Note : ce n'est pas parce qu'une ou deux personnes en situation de handicap interviennent annuellement à Paris Web – une des seules conférences françaises à le permettre – que la question de l'accessibilité est réglée, ou qu'on peut dormir sur nos deux oreilles jusqu'à l'année d’après.)
Pouvoir poser des questions à personnes handicapé·e·s et les laisser y répondre spontanément est ce qu’il y a de plus efficace en matière de sensibilisation à l'accessibilité. Encore faut-il en fréquenter. Dans votre entourage, peut-être connaissez-vous des proches, des collègues, des confrères ou des consœurs en situation de handicap.
Si ce n’est pas le cas, les rencontres informelles, comme les ateliers de Paris Web ou les élaboratoires de Sud Web par exemple, sont des situations qui se prêtent bien à un échange spontané avec des personnes en situation de handicap (encore faut-il qu’elles soient présentes, ce qui est un autre sujet).
Écouter les personnes handicapées, cela peut également passer par le fait d’organiser des tests utilisateurs avec plus de diversité, en y incluant de la diversité au niveau des habilités, et en ne se contentant pas uniquement de diversité niveau âge ou genre par exemple.
Cet échange avec les personnes concernées est éminemment plus instructif que les simulations faites dans on ne sait quelles conditions par des personnes valides. Comprendre comment les personnes en situation de handicap luttent avec votre site web ou votre application va très probablement vous donner envie de résoudre ces problèmes. Plus vous comprendrez comment elles utilisent ce que vous concevez, plus vous serez à même d’anticiper ces problèmes dans vos prochains projets, plus vous produirez du meilleur design.
Assister à des démonstrations de technologies d’assistance
Assister à des démonstrations de technologies d’assistance est également important. Quand on est soi-même valide, il est très difficile de s’imaginer comment une personne handicapée utilise Internet sans la voir en action. Personnellement, j’ai compris beaucoup de choses il y a quelques années à Paris Web lorsque j’ai vu Sylvie Duchateau, qui est aveugle, utiliser sa plage braille.
D’ailleurs, à ceux qui trouvent que parler des personnes handicapées et des outils spécifiques qu’ils utilisent pour naviguer sur Internet serait « misérabiliste », je tiens à dire qu’il n’y a rien de misérable au fait d’utiliser une plage braille, ou toute autre technologie d’assistance. Au contraire, Sylvie m’a dit que sans sa plage braille, elle se sentirait véritablement handicapée.
Courte vidéo démontrant l'utilisation d'une plage braille par une utilisatrice aveugle :
L’importance de ces outils est cruciale pour les personnes en situation de handicap, et ce n’est pas tabou d’en parler : au contraire, il faut en parler, et il faut avoir la curiosité d’assister à des démonstrations pour comprendre comment tout cela fonctionne.
Ces outils font entièrement partie de leur expérience utilisateur. On parle souvent des lecteurs d’écran, mais il existe bien d’autres outils qui mériteraient des démonstrations ponctuelles : loupes d’écran, pointeurs, head-sticks, guides doigts, claviers adaptés, etc. Je serais très heureuse que ce genre d’ateliers spécialisés prennent place dans les évènements annuels réunissant les artisan·e·s du web français.
Se former à l'accessibilité
Pour mieux convaincre nos interlocuteurs de la nécessité de prendre en compte l’accessibilité dans les projets auxquels nous contribuons, il faut que nous comprenions bien de quoi il s’agit nous-mêmes, tant en terme de réglementation, de mise en œuvre que d’impacts utilisateurs. D’où la nécessité de se former.
Il est possible de se former soi-même : les WCAG et le RGAA 3 sont en libre accès sur Internet.
Si tout cela est nouveau pour vous (bienvenue !), rassurez-vous : il existe de nombreux critères d’accessibilité simples à mettre en place, qui vont rapidement devenir des réflexes.
À noter aussi : l’existence de plusieurs guides et documents d’accompagnement au RGAA, qui peuvent vraiment vous faciliter la tâche. Je recommande en particulier :
- le guide Défauts d’accessibilité : impacts sur les utilisateurs, comme son nom l’indique ;
- le guide du concepteur RGAA 3 : pour concevoir des interfaces accessibles (conception fonctionnelle, graphique et multimédia) ;
- le guide Contribuer sur le web de manière accessible (utile si vous éditez un blog, par exemple) ;
- le guide de l’intégrateur RGAA 3 et le guide du développeur RGAA 3, qui sont plus techniques.
D’autres guides métiers vont d’ailleurs bientôt voir le jour.
Autrement, en France, il existe aussi plusieurs formations spécialisées en accessibilité numérique dispensées par des organismes de formation indépendants. Renseignez-vous !
Il est également possible de faire appel à des experts en accessibilité web pour se faire accompagner tout au long d’un projet, pour réaliser des audits voire pour faire labelliser un site.
Cela ne fait qu’un mois que j’ai commencé à me spécialiser en accessibilité web, et pourtant j’ai déjà constaté le recours fréquent à certains contre-arguments en matière d’accessibilité. L’un d'eux consiste à dire : « Oui mais les référentiels officiels sont austères, ça rebute, c’est réservé aux expert·e·s : faire à peu près de l’accessibilité, même si on ne connaît pas tout, c’est déjà bien ».
Ce type d’argument semble justifier une pratique approximative de l’accessibilité par des non experts, tentant de mettre en place avec plus ou moins de succès les critères et méthodes les plus faciles, laissant de côté les autres, faute de mieux.
Cette tolérance pour l’à peu près m’étonne beaucoup. On ne la retrouve pas dans les autres domaines fondamentaux du web, comme la sécurité et la performance. J’ai du mal à comprendre ce rejet de l’expertise en matière d’accessibilité.
Oui, pour bien faire de l’accessibilité, il faut être formé·e : ce n’est pas un savoir qui tombe du ciel. Et même si on s’intéresse de près au sujet de manière autodidacte depuis de nombreuses années, à un moment il faut se confronter aux experts, qui ont des choses à nous apprendre, et faire reconnaître ses compétences via des formations certifiantes.
Je suis dans ce cas-là : chaque jour, je m’aperçois de tout ce que je ne sais pas encore au sujet de l’accessibilité, sujet que je pensais pourtant connaître grâce à mon expérience d’intégratrice senior.
Partager nos retours d’expérience
L’autre façon de sensibiliser à l’accessibilité, ce sont les retours d’expérience. Or, je vois rarement passer de tels retours d’expérience mêlant accessibilité web, web design et UX. C’est quelque chose de bien plus courant concernant l’intégration et le développement.
Pourtant, ce genre de « post mortem » expliquant ce qui a fonctionné, et ce qui a moins fonctionné, écrit par des concepteurs, peut ouvrir la voie à des discussions intéressantes et à une prise de conscience définitive.
En partageant nos découvertes, nos expérimentations et nos réflexions, nous contribuons à faire vivre le sujet de l’accessibilité web. Plus le sujet sera omniprésent, moins il sera facile de l’ignorer en prétextant qu’on n’était pas au courant et qu’on ne sait pas faire.
C’est à mon avis une bien meilleure méthode pédagogique que le recours aux arguments grotesques évoqués plus haut. Rien n’est plus puissant que le partage de connaissances. Qui n’a jamais eu de coup de cœur intellectuel pour un sujet métier découvert par hasard lors d’un billet de blog ou d’une conférence ? Alors, zou, relevons nos manches et mettons nos connaissances et nos expériences en commun !
Apprendre à tenir tête à nos employeurs et à nos clients
On a longtemps argumenté en faveur de l’accessibilité en utilisant des arguments faisant appel aux bons sentiments de nos interlocuteurs.
Comme je le disais plus haut, ce genre d’arguments ad misericordiam ne fonctionnent pas. Les représentations mentales et sociales liées au handicap sont trop négatives et anxiogènes pour être balayées grâce à ce genre d’argument.
C’est pourquoi il est important d’avoir recours à un argumentaire rigoureux, en particulier lorsqu’on s’adresse aux décideurs (nos chefs, ou nos clients), par exemple en évoquant l'aspect juridique et financier de l’accessibilité web.
Certes, ce n’est pas évident de tenir tête aux personnes qui rétribuent notre travail. Quand on est designer, il nous appartient pourtant de conseiller nos clients et de les avertir des impacts négatifs de certains choix.
Comme le rappelle Mike Monteiro, c’est à nous, designers, d’évaluer les conséquences économiques, sociologiques et écologiques de notre travail. Si ce que nous produisons discrimine une partie de la population, alors il en va de notre responsabilité de prévenir notre hiérarchie et notre client, car c’est ce client qui devra en assumer les conséquences légales et financières.
Julie Zhuo nous rappelle que dire non à une demande qui va provoquer de la discrimination n’est pas de l’insubordination : c’est simplement notre travail. En tant que professionnel·le·s expérimenté·e·s, notre travail n’est pas d’obéir sans broncher : nous devons créer de la valeur, conseiller nos interlocuteurs au mieux, et tenter de provoquer un impact positif sur le monde.
Si nous travaillons sans être convaincus par ce que nous faisons, et que nous exécutons une demande que nous savons être mauvaise, alors nous produisons un travail de moindre qualité, mais surtout nous loupons une occasion de sensibiliser nos managers et nos clients à la meilleure façon de faire. Les conseiller au mieux à l’aide de notre expertise ne peut être que valorisant, pour eux comme pour nous : il suffit de le faire de manière professionnelle.
Il est vrai qu’il est plus facile de prendre conscience de tout cela lorsque nous évoluons nous-même dans une équipe mixte et inclusive. Il me semble évident que le recrutement au sein des équipes web joue également un rôle important en matière d'inclusivité.
Conclusion
Ouf ! J’ai terminé. Dans ce long billet, j’ai :
- démontré pourquoi les arguments qui consistent à dire : « Imaginez-vous vieux et handicapés ! » aux designers que nous cherchons à convaincre des bienfaits de l’accessibilité sont discutables ;
- expliqué pourquoi les exemples du type « Faire de l’accessibilité, ça sert également aux personnes qui pleurent ou aux personnes ivres » sont ridicules et n’ont aucun rapport avec l’accessibilité ;
- prouvé pourquoi les simulations de handicap à des fins pédagogiques sont excluantes et validistes ;
- partagé quelques pistes de réflexion pour améliorer la façon dont nous faisons de la pédagogie à propos de l’accessibilité auprès de nos collègues designers.
Ma conclusion, la voilà : il est temps de remettre notre argumentaire en faveur de l’accessibilité au goût du jour. Si les arguments que nous utilisons depuis 20 ans ne fonctionnent pas, alors il faut en changer.
Arrêtons de considérer nos interlocuteurs comme des « béotiens », qui ne comprendraient que des arguments discutables et des exemples absurdes. La qualité de l’argumentaire que nous utilisons reflète l’estime que nous avons pour nos interlocuteurs. Aussi, demandons-nous si nos arguments sont solides, éthiques et respectueux.
Je pense aussi que les designers doivent s’emparer du sujet de l’accessibilité une bonne fois pour toutes. Cela fait 20 ans que les discours autour de l’accessibilité s’adressent quasi exclusivement aux intégrateurs et aux développeurs : pas étonnant que la prise en compte de l’accessibilité par les designers soit si laborieuse.
En tant que designers nous-mêmes, il nous faut (ré)apprendre à juger la valeur de notre travail en fonction de son impact sociétal plutôt qu’en fonction de considérations purement esthétiques.
L’essor actuel des méthodes UX me donne de l’espoir : j’entends de plus en plus d’UX designers préférer le terme « humains » à celui d’« utilisateurs ». Faire du design inclusif, pour tous les humains, et pas uniquement ceux qui nous ressemblent : ok, allons-y ! En terme d’accessibilité web, nous avons toutes les connaissances nécessaires pour nous y mettre dès aujourd’hui.
Enfin, continuons à faire preuve d’esprit critique. Comme je le disais dans un vieil article, nous avons tout intérêt à prendre du recul vis-à-vis de la parole des figures d’autorité de notre milieu professionnel. Face à une personne que nous admirons depuis longtemps, on se retrouve vite à penser : « Si lui le dit, si elle le dit, c’est qu’ils doivent avoir raison ! ».
Mais nous devons continuer à exercer notre sens critique, même vis-à-vis des personnes que nous admirons depuis longtemps, même vis-à-vis de nos consœurs et confrères que la réputation précède. Et les réalisations passées, le nombre d’abonnés Twitter, le nombre de retweets ou de commentaires reçus ne doit rien y changer.
Aussi, ce n’est pas parce que l’article We're Just Temporarily Abled a été beaucoup partagé sur Twitter qu’on doit le prendre pour argent comptant. Ce n’est pas parce qu’il a été partagé par des gens que nous aimons bien que nous ne pouvons pas le discuter. Enfin, ce n’est pas parce que des arguments en faveur de l’accessibilité sont utilisés depuis longtemps que nous ne pouvons pas nous interroger à leur sujet.
Arrêtons de consommer les contenus web sans aucun recul. Ne soyons pas des bénis-oui-oui, même face à nos ami·e·s et allié·e·s. Continuons à débattre, en laissant notre ego et notre affect de côté. L’accessibilité web a tout à y gagner.
PS : merci à Audrey Maniez, Luce Carević, Marion Poullain, Millicent Gervais, Sylvie Duchateau, Damien Senger, Gaël Poupard, Jean-Pierre Villain et Olivier Keul pour leur aide précieuse lors de la rédaction de ce billet.
31 juillet 2017
Surtout que si l'utilisateur valide sera un jour invalide (ce que je ne lui souhaite pas bien évidemment), il sera bien embêté de découvrir que rien (voire un peu) est accessible.
En tout cas, très bon article. Cela va en inspirer d'un.
Je suis d'accord avec toi sur le fait d'imaginer être handicapé (je n'aime pas ce terme mais bon) en rébute un. Néanmoins, je pense qu'il est important de souligner et leur poser la question : si un jour tu devenais sourd ou aveugle, tu ferais comment ? Jouer sur les angoisses n'est pas forcément bon mais cela provoquerait peut-être une conscience. Assurer l'avenir des autres est aussi assurer l'avenir de soi-même. ;)
31 juillet 2017
Je préfère les arguments positifs. Ne pas déprimer les gens en leur disant, à ma place tu ferais quoi. A mon avis, il vaut mieux faire l'inverse. Voyez les difficultés qu'on rencontre lorsqu'on a un handicap et qu'on arrive sur un site inaccessible.
Plus d'une personne en situation de handicap dans la vie courante, sera frustrée, n'aura plus envie d'utiliser Internet. Alors que si l'accessibilité est respectée, il y a tellement d'horizons qui s'ouvrent, de choses que nous ne pouvions pas faire parce que notre environnement ne nous le permettait pas. Parce que si les technologies nous donnent accès à l'information, nous sommes comme les autres, cela gomme les différences et nous permet de faire des choses qui nous étaient impossibles jusqu'alors.
Bravo Marie pour cet article dans lequel je retrouve beaucoup de choses que beaucoup d'entre nous, personnes dites handicapées, pensent et ne disent pas.
1 août 2017
Je pense que cette phrase dit tout.
Merci pour ton retour Sylvie, cela m'honore !
1 août 2017
Merci pour ton retour, Emmanuelle ! :)
4 août 2017
Salut Marie,
Je me suis d’abord abstenue de commenter, tant il y aurait à dire, tant j'étais déprimée, à la lecture de ton article.
Derrière le titre (un poil culpabilisateur) incitant à « convaincre les designers », tu critiques les arguments d’une UX américaine et de celleux qu’elle cite qui sont justement convaincus par l’accessibilité au point de partager leurs idées pour appréhender ce sujet ! Si bien que ça fait tout le contraire d’encourager les designers à oser s’exprimer à ce sujet. C’est très démotivant.
Tout au plus le font-ils maladroitement, mais cela ne méritait certainement pas telle condamnation. Ni ces accusations de manque d’éthique et de validisme.
En conception web accessible, il n'y a pas une bonne façon de penser, mais au contraire encore à explorer, surtout en France où, comme souvent hélas, nous ne sommes pas en avance — comme en témoignage l’abondance de littérature sur la recette accessible et la pauvreté relative de ressources pour le développement et plus encore pour la conception (à part les notices AcceDe Web pour la conception, what else?). Accueillir les initiatives en la matière avec un peu plus de bienveillance éviterait de réussir à faire le contraire de ce que ton titre ambitionne.
Un autre point, en particulier, me choque : l’intolérance d’une « pratique approximative de l’accessibilité ». Or c’est le propre de tout débutant·e·s, de toute personne ou organisme débutant·e en accessibilité. Faut-il entendre là que l’apprentissage de l’accessibilité, ses tâtonnements et approximations inhérents, sont inacceptables ? Qu’il faut exceller sinon se taire ? Que seuls les experts peuvent ? Pourquoi rejeter les débutant·e·s, leurs maladresses et approximations, sous prétexte de défendre l’accessibilité des personnes en situation de handicap ? Prétendre combattre une discrimination (ici envers le handicap) par une autre (ici envers les non-experts), me gêne vraiment.
Plutôt qu’un impératif d’excellence érigé comme un Everest, je préfèrerai toujours une démarche progressive et inclusive, qui se nourrit de la collaboration entre personnes de bonne volonté, dont débutant·e·s, experts et utilisateurices, valides et handicapé·e·s.
8 août 2017
Hello Romy !
Je suis sincèrement embêtée que mon billet t’ait à ce point bouleversée. :( Ce n’était évidemment pas du tout mon intention. Si ce que j’ai écrit a pu te faire penser que je reprochais quoi que ce soit aux designers, c’est sans doute de la maladresse de ma part.
Je regrette que ce que j’ai écrit puisse te démotiver à écrire. Là encore, ce n’était pas du tout mon but !
À la fin de mon billet, j’invite les un·e·s et les autres à partager leurs retours d’expérience dans le domaine, et à garder le sujet de l’accessibilité vibrant dans nos discussions de tous les jours.
De plus, j’ai toujours encouragé les personnes qui m’accordent leur attention à prendre la parole, et à oser s’affirmer. Ce n’est pas parce que je critique quelques arguments donnés ici par une personne dans un article parmi des milliers, que cela doit décourager qui que ce soit d’oser prendre la parole à son tour.
Il me semble que, dans son article, Jennifer Aldrich ne cite les arguments d’une seule personne : Cindy Li, qui est designer et dont la vue baisse d’année en année, et qui s’inquiète de devenir aveugle d’ici quelques années. Que quelqu’un qui fait déjà face à des incapacités s’inquiète de son état de santé personnel, ça me semble tout à fait logique. Je ne critique pas cela.
Ce que je critique, c’est l’argumentaire présenté ensuite dans cet article à destination de designers, en particulier quand il les exhorte à s’imaginer bourrés, distraits ou en larmes pour concevoir des interfaces accessibles.
Cet argumentaire me gêne beaucoup, personnellement. Je ne vois pas trop comment on pourrait convaincre qui que ce soit avec des arguments aussi faibles et discutables, ne reposant sur aucune étude ni aucun test utilisateur.
Je ne pense pas ça du tout. D’ailleurs je n’ai rien dit de tel, et la formulation de ce passage résonne tristement comme un procès d’intention.
Je ne critique pas les débutants, au contraire : je les invite à se former, pour qu'ils comprennent mieux les enjeux du design accessible.
D’ailleurs, d'une certaine manière, moi aussi je suis à nouveau débutante et en phase d'apprentissage sur l'accessibilité. Même si j’ai une solide expérience front-end, je me spécialise depuis quelques mois en accessibilité. Je réalise tout ce qu’il me reste à apprendre sur le sujet.
Bref, donc oui, évidemment que tout le monde peut s’exprimer à propos de l’accessibilité. Mais doit-on pour autant laisser passer des âneries lorsqu’il y en a ?
Si un·e débutant·e publiait un article problématique sur un sujet qui te tient à cœur, laisserais-tu publier n’importe quoi, au nom de la bienveillance ? J’ai du mal à y croire. Peut-être aurais-tu toi aussi envie de l’aider à considérer d’autres aspects du sujet. Et tu le ferais sans doute de manière très bienveillante, ce n’est pas incompatible.
Prendre le temps de faire part de critiques argumentées, justement, c’est aussi de la bienveillance. On peut critiquer quelque chose sans être malveillant ou méchant.
Et j’ai beau relire mon billet, je ne vois aucun passage où j’aurais manqué de respect ou de bienveillance envers qui que ce soit.
À la fin de son article, Jennifer Aldrich reconnaît elle-même ne pas être experte en accessibilité, et invite celles et ceux qui sont plus formés qu’elle à partager leurs réflexions, leurs outils et leur savoir avec les autres :
Ma traduction :
En lisant cette conclusion, j’ai senti que le débat était ouvert. J’ai donc publié mon billet dans ce contexte.
On est en phase sur ce point-là ! ^^
La DINSIC vient de publier plusieurs guides qui peuvent sans doute t’intéresser, parmi lesquels :
4 août 2017
Merci Marie pour ce billet militant et qui permet de lire à quel point vous êtes sensibilisée au sujet de l'accessibilité.
J'ai déjà lu d'autres de vos articles et je vous sais quelqu'un d'avisée et clairvoyante sur notre métier, mais je vous trouve un peu naïve dans votre article pour nous convaincre de choisir ce chemin.
Je suis webdesigner/intégrateur en agence et je connais ce monde depuis 20 ans. La réalité du web c'est qu'il s'adresse au plus grand nombre mais pas à tous, comme la plupart des produits et services que nous utilisons tous les jours. Si j'ose un parallèlle, un véhicule n'est pas aujourd'hui adapté à la plupart des handicaps physiques, des modifications sont nécessaires pour le rendre accessible à certains handicap.
je ne crois pas aux discours incantatoire pour convaincre et changer le modèle économique car il s'agit bien de cela au fond. On produit de meilleur site aujourd'hui plus respectueux des standards mais toujours pour le plus grand nombre pas pour tous le monde.
Quand on parle d'accessibilité il faut savoir de quoi on parle. Respecter quelques règles de bases comme celles du w3c ou parle t-on d'un label accessiweb ? J'ai eu l'opportunité d'assister à un travail d'accessibilité pour un label accessiweb niveau argent. Il ne s'agit pas d'un travail aisé, ou il suffirait d'une sensibilité au sujet, il s'agit d'une expertise rare et longue à mettre en œuvre et malheureusement pas toujours pérenne. D'autant plus que le travail d'intégration des contenus et souvent à la charge du client et je ne le vois pas faire ce travail, quand mettre une image au bon format est déjà un pensum pour lui.
Vous avez raison sur le fait de vouloir sensibiliser les jeunes qui embrassent une carrière dans le web. En tant que jury et faisant partie d'un centre de formation je vois aussi le chemin à parcourir et il est long le chemin dans tous les domaines : Seo, performances... Les étudiants sont très mal formés à ces problématiques on veut des désigners et des codeurs alors l'accessibilité ...
Vous évoquez l'idée d'associer les clients à ces problématiques, mais que ce soit des services publics, régionaux ou nationaux il faut déjà faire preuve d'une immense pédagogie pour expliquer ce qu'est un site Web et ce faire comprendre. Alors je serais honnête le sujet est abordé mais les clients ne se sentent pas obligés de souscrire sur ce que vous rappeliez comme étant une loi de 2005. De toute façon a partir du moment où cela est facturé comme une prestation à part entière, le sujet est évacué. D'ailleurs cette demande figure rarement dans le cahier des charges initial. Les coupes budgétaires dans les services publics ne militent pas en faveur de l'accessibilité.
Pour conclure, devant ces obstacles et ce manque de volonté générale, je crois que la solution sera technique plus que le fruit d'une volonté humaine.
Pour reprendre votre exemple et ce projeter dans le web dans 20 ans lorsque je souffrirais peut-être de problème de vision. je pense que le web aura évolué sous d'autres formes en s'intégrant mieux. Nous serons sûrement directement connecté à lui via un implant intra-cranien et il remplira alors sa mission universelle.Tout comme les voitures autonomes deviendront accessibles à tous si la loi le permet.
9 août 2017
Bonjour Olivier,
On parle bien des Web Content Accessibility Guidelines (WCAG) émises par la Web Accessibility Initiative (WAI) du W3C, dont le Référentiel Général d'Accessibilité des Administrations (RGAA 3) est un référentiel opérationnel légal en France.
Le label AccessiWeb quant à lui sert uniquement à mesurer mesure la conformité des sites Web à ces standards d'accessibilité.
Oui, en effet, la connaissance des critères d’accessibilité numérique relève bien de l’expertise. C’est là tout mon propos : il faut se former pour bien connaître les tenants et les aboutissants de l’accessibilité.
Quant au manque de pérennité de cette expertise, je ne vois pas très bien en quoi cela serait le propre de l’expertise en matière d’accessibilité. Oui, les standards du web et les règles en matière d’accessibilité évoluent, parce que la nature même d’Internet est mouvante. Il faut bien que les normes suivent les évolutions techniques. Concernant les expert·e·s accessibilité, cela implique une formation continue évidente – mais c’est le cas pour tous les métiers du web.
Oui c’est souvent le cas, même s’il existe des ressources pour aider les contributeurs à produire des contenus accessibles pour le web (par exemple ce guide du concepteur), ainsi que de nombreuses formations à ce sujet.
C’est leur responsabilité légale qui est engagée. Face à la loi on n’a pas à « se sentir obligé de souscrire » ou pas, ce n’est pas un choix, c’est une obligation. Mais peut-être s’agit-il d’une simple méconnaissance de vos clients quant à ce qu’ils risquent en ne respectant pas la loi ? Dans ce cas, vous avez là une carte très importante à jouer, pour qu'ils ne puissent pas vous reprocher de ne pas les avoir suffisamment prévenus en amont en cas d'infraction avérée.
Les cahiers des charges initiaux sont rarement complets, il revient aux prestataires d’inclure l’accessibilité dans la réponse proposée. Encore faut-il pour cela être convaincu·e de la nécessité de l’accessibilité soi-même, or, arrêtez-moi si je me trompe, je ressens en lisant votre commentaire que vous avez peut-être des doutes à ce sujet ?
J’ai du mal à comprendre cette démonstration. Tout outil émane de la volonté et de la créativité humaines. Chaque designer a la responsabilité du design qu’il produit. Les outils du futur ne seront pas accessibles par magie.
Pour que le web soit accessible dans 20 ans, il faut justement former les artisan·e·s du web d’aujourd’hui, y compris celles et ceux encore en formation, à l’accessibilité. En tant que formateur et juré, vous avez sans aucun doute un rôle stratégique à jouer à ce propos.